La digiscopie, ou comment faire de la photo autrement : partie 1


Pour cet article, je vais donner la parole à Jean-Christophe Delattre, un spécialiste de la digiscopie. Mais au fait, que signifie ce terme barbare ? Suivez le guide, Jean-Christophe va tout vous dire !

Présentation de l’auteur :

Nom et prénom : Jean-Christophe Delattre. 

Lieux de résidence  : Peron dans l’Ain.

La photographie naturaliste fait-elle partie de votre activité professionnelle : non,  il s’agit d’un hobby que je pratique de manière régulière.

Informations complémentaires :

Une publication notable :

  • Revue Nat’Images n°24 (fev.2014) : Article de 6 pages « Titi l’alpiniste dans la longue-vue », consacré à l’approche du Tichodrome échelette en digiscopie.

Expositions notables :

  • Festival de l’Oiseau et de la Nature, Abbeville, 2013 : Exposition digiscopique « Titi l’Alpiniste » consacrée au Tichodrome échelette.
  • Festival Nature d’Hauteville Lompnes, 2016 : Exposition mixte Digiscopie/reflex sur les oiseaux de l’Ain
  • Confrontations Gessiennes, Gex, 2016 : Idem, exposition mixte Digiscopie/reflex sur les oiseaux de l’Ain

Deux autres informations qui me paraissent pertinentes :

  • Je suis partenaire de la marque Carl Zeiss « Sports Optics » France depuis 2010, au départ comme référant digiscopie, puis maintenant également pour tester et promouvoir les nouveaux produits (jumelles et longues-vues).
  • Je suis animateur bénévole à la FRAPNA (Fédération Rhône Alpes de Protection de la Nature) délégation Savoie et je propose des soirées à thème, des sorties ornithologiques et des expositions lors de diverses manifestions orientées vers le grand public.

URL de votre ou de vos sites Internet, page Google plus, Facebook, etc : 

Mon site internet : http://www.jc-delattre.fr/

Ma page Facebook : https://www.facebook.com/regardsoiseaux/


Lorsque l’on souhaite se lancer dans la photographie animalière, et en particulier dans la photographie d’oiseaux, on est obligé de côtoyer de longues focales. En effet, les oiseaux sont particulièrement farouches dans notre pays. Ceci oblige à s’intéresser aux téléobjectifs de 400 mm minimum, voir jusqu’à 800 mm si l’on souhaite équiper correctement son boitier reflex. Ces téléobjectifs, en plus d’être lourds et encombrants, sont particulièrement onéreux. Par exemple, le 500mm F/4 chez Canon, l’objectif le plus convoité en photographie animalière, coute environ 10000 euro ! Une solution alternative existe, qui possède ses avantages et ses inconvénients : il s’agit de la digiscopie.

Présentation de la digiscopie.

Le terme « Digiscopie » est un mot inventé, « digi » faisant référence à digital et « scopie » à observation. La méthode de la digiscopie consiste à combiner un appareil photo numérique, en général un compact, et une longue-vue d’observation que tout bon naturaliste passionné possède. En venant placer l’appareil photo juste derrière l’oculaire de la longue-vue, à l’emplacement prévu pour notre œil, le miracle se produit et l’on arrive à photographier l’image formée par l’oculaire de la longue-vue, destinée initialement à notre œil. Les focales que l’on atteint dépassent allègrement les 1000 mm !

C’est Laurence Poh, un ornithologue malaisien, qui a découvert cette méthode en 1999. Par la suite, elle s’est vite répandue dans le monde. Les pionniers tenaient l’appareil à main levée derrière la longue vue, et se satisfaisaient de photos approximatives et pas très nettes. Mais celles-ci avaient leur intérêt, permettant de garder une trace des observations, en vue par exemple d’identifier plus tard un oiseau non identifié sur le moment. Puis petit à petit, certains ont perfectionné la technique en bricolant des adaptateurs pour maintenir l’appareil photo derrière l’oculaire. Maintenant, de multiples adaptateurs existent dans le commerce.

Voici pour illustrer mon propre montage, il s’agit d’une longue-vue Zeiss Diascope Victory 85 sur laquelle est fixé un Canon Powershot S95 à l’aide d’un adaptateur maison usiné :

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Petit à petit, le terme digiscopie a été utilisé pour décrire d’autres montages entre un appareil photo et une longue-vue. Le plus courant est le montage d’un boitier reflex démuni d’objectif sur une longue-vue démunie d’oculaire. L’assemblage se fait via un adaptateur optique que vend en général la marque de la longue-vue. Pour ce type de montage, on préfère parler de « Reflexoscopie ». C’est assez différent, car il en résulte un système uniquement dédié à la photographie. En effet, la longue-vue ne permet plus d’observer car elle n’a plus d’oculaire. Ce type de montage ne sera pas présenté ici.

Le matériel de digiscopie (moyen et haut de gamme)

Pratiquer la digiscopie nécessite donc une longue-vue, un APN (appareil photo numérique), un adaptateur pour lier les 2, et également un trépied stable, indispensable pour travailler aux focales assez importantes qui résultent de ce montage. La qualité des photos obtenues est liée à au moins à 90% à la qualité optique de la longue-vue. C’est pour cela qu’il faut en priorité se munir d’une longue vue haut de gamme, qui va couter entre 2500 et 3000 euro, et qui aura l’avantage de posséder des traitement poussés, notamment destinés à réduire les problèmes d’aberrations chromatiques. On trouve ce matériel chez Zeiss, Leica, Swarovski, Kowa ou encore Nikon. Pour des budgets plus limités, on peut s’intéresser aux marques Olivon, Kite, Bushnell, ou encore Opticron qui peuvent fournir des images de bonne qualité.

Le 2ème élément important du montage digiscopique est bien sur l’APN. Au départ, c’était simple. La digiscopie se pratiquait uniquement avec un APN compact. Les APNs bridges, eux, qui existent également depuis longtemps, n’ont jamais fonctionné en digiscopie à cause du vignettage (voir plus bas).

A partir de 2010 – 2011, les constructeurs ont commencé à sortir des APNs dits hybrides, une sorte de mélange entre un compact et un reflex. Certains sont à objectifs interchangeables, certains possèdent un capteur grand comme ceux des reflex, d’autres ont un capteur d’une taille intermédiaire (micro 4/3). Ces APNs sont par exemple le Sony DCR-RX100, les Nikon 1, le Leica X2 etc… Leur prix tourne en général entre 600 et 1500 euro, et pas mal d’entre eux s’avèrent être de bons candidats pour la digiscopie, pour remplacer un APN compact. Mais il faut garder à l’esprit que plus le capteur de l’APN est de grande taille, plus il y aura de perte de lumière au final. Personnellement, j’utilise un simple compact, le Canon Powershot S95, remplacé depuis par d’autres modèles. Le plus récent, le S120, reste une référence de qualité et de compatibilité même s’il n’est plus commercialisé neuf.

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Pour savoir si un APN donné est compatible avec la digiscopie, le mieux est d’essayer, ou au moins d’aller à la pêche aux infos sur Google, car les modèles évoluent rapidement et il est impossible pour qui que ce soit de faire une liste exhaustive des modèle compatibles. La principale incompatibilité est due au vignettage. Nous parlons de vignettage, mais en réalité il s’agit d’un phénomène un peu différent. Lorsque l’on aligne un APN et une longue-vue, on observe en général sur l’image captée par l’APN un rond noir avec une image seulement au centre. Suivant l’APN, ce rond noir est plus ou moins important et difficile à éliminer.

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Sur un APN compatible, on peut le supprimer en jouant avec la distance entre l’oculaire de la longue-vue et l’objectif de l’APN (en général elle doit être de quelques millimètres) et en jouant avec la position du zoom intégré à l’APN et/ou du zoom que possède la longue vue. Avec un APN non compatible, ce fameux rond noir envahit une grande partie de l’image quel que soient les réglages que l’on essaie de faire. Illustration ci-dessous :

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Finalement, il faut un adaptateur pour relier l’APN à la longue-vue. Il s’agit simplement d’un système mécanique visant à maintenir l’APN bien aligné juste derrière l’oculaire de la longue-vue, il n’y a aucune optique à l’intérieur. Dans le haut de gamme, Swarovski est la marque qui a le plus développé d’adaptateurs digiscopiques. Mais il en existe beaucoup d’autres, développés ou non par les marques des longues-vues, qui sont plus ou moins universels, à tous les prix et de toutes les qualités. Il est important d’en trouver un de bonne qualité, qui soit rigide et facile à régler. Il doit en effet permettre d’aligner précisément et rapidement l’APN et la longue-vue.

Une autre solution est de bricoler soi-même son adaptateur. Beaucoup de digiscopeurs ont du s’y coller au début, car aucun adaptateur n’existait dans le commerce. Ci-dessous, il s’agit de mon adaptateur maison, usiné par mon père, qui utilise comme souvent le pas de vis présent sous l’APN pour le fixer sur l’adaptateur.

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Prendre une photo en digisccopie

Concrètement, comment fonctionne le système digiscopique ??? Car après tout celui-ci reste un système de prise de vue bricolé qui n’a jamais été conçu pour exister…

Une fois que l’APN est bien aligné et monté derrière la longue-vue, le tout sur un trépied de préférence, prendre une photo n’est pas si compliqué. La mise au point est en partie manuelle. Il est en effet nécessaire de faire une pré-mise au point en utilisant la molette de la longue vue. Celle-ci est faite directement en regardant l’image sur l’écran de l’APN. Ensuite, lorsqu’on appuie à mi-course sur le déclencheur, l’autofocus de l’APN se charge de peaufiner cette mise au point approximative. C’est étonnant mais ça fonctionne plutôt bien !

Ensuite, on peut utiliser les réglages de l’APN comme pour une prise de vue classique. Le réglage de l’ouverture, par exemple, permet même en digiscopie d’augmenter la profondeur de champ. Bien entendu, l’ouverture résultante du système est différente de la valeur d’ouverture que l’on règle sur l’APN, et à ma connaissance il n’existe pas de formule fiable qui permette de la calculer.

Le zoom de l’APN est utilisable aussi pour augmenter la focale résultante du système, tout comme le zoom de la longue-vue. Sur ce point, il est important de ne pas être trop gourmant. En effet, la focale résultante est tout simplement la focale de l’APN (en équivalent 24×36) multipliée par le grossissement de la longue-vue (en général entre 20x et 60x). Les focales les plus faibles possibles tournent en général autour de 1000mm, mais on peut allègrement atteindre 7000 mm ! Bien entendu, à ces focales extrêmes, les photos obtenues sont inexploitables, à cause des limites de l’optique, de la transparence de l’atmosphère, du manque de lumière et de stabilité.

Voici le digiscope en situation, dans une tente affût devant un roncier où venait chanter une petite Fauvette grisette. La focale utilisée est d’environ 1200mm.

 

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Voilà, cette première partie ce termine. Jean-Christophe vous donne rendez-vous dans quelques jours pour la deuxième et dernière partie de cet article, fort intéressant.

N’hésitez pas à commenter.

Jean-Michel

4 réflexions sur “La digiscopie, ou comment faire de la photo autrement : partie 1

  1. Anonyme

    J’ai pratiqué puisque j’avais une lunette ORION que tu as bien connue. Il est vrai que pour shooter à longue distance un oiseau ou un animal à quatre pattes sans être vu, c’est l’idéal… Mais…. car il y a un « mais » il faut que le sujet soit immobile ou peu mobile. Oubliez par exemple un martin pêcheur en vol ! Et puis les longues vues ne sont pas des modèles de luminosité, il faut donc peaufiner à l’extrême les réglages pour ne pas être flou…trépied indispensable ! En ce qui concerne l’encombrement et le poids, je pense que « c’est du pareil au même » ! François D.

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    1. Merci pour votre commentaire. Avec une lunette astronomique, c’est un montage assez différent de la vraie digiscopie.
      La remarque sur la luminosité et la réactivité est juste, j’en parle d’ailleurs dans la 2ème partie. Mais on peut quand même faire de jolies choses en digiscopie. Et pour le Martin pêcheur en vol, tout a fait d’accord, mais même avec un bon matériel reflex, ça reste très dur !
      J.C.

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