Moment magique : ma rencontre avec le Lynx Boréal !


Ma passion irrépressible pour la photographie et pour la nature m’a offert de nombreux moments de bonheur. Mais il en est un qui restera à jamais gravé dans ma mémoire, un moment dont l’extrême rareté frise la déraison et vous arrache au monde réel, le temps d’une fabuleuse observation. C’est justement de cet instant magique que je veux vous parler aujourd’hui.

ACTE 1 : première rencontre

Le début de l’histoire s’écrit le 5 octobre 2018. Ce jour-là, je me rends au Festival Pyrénéen de l’Image Nature de Cauterets, accompagné de cinq  amis, tous membres du club photo que j’anime. 

Alors que je contemple une exposition dédiée au Desman des Pyrénées, Laurence s’approche de moi, me tire par le bras, et me dit toute excitée : « Viens voir ce chat, mais viens voir, une pure merveille ! ». À quelques pas, se trouve l’exposition de Joël Brunet. Une magnifique photographie de chat forestier introduit le visiteur dans l’espace d’exposition du photographe jurassien. La photo du chat est sublime. Les organisateurs du festival ne se sont pas trompés ; ils en ont fait l’affiche de leur événement.

Constatant que Joël Brunet propose des stages, Laurence se renseigne auprès du photographe. Pendant ce temps, je contemple son dernier livre « Bugey Sauvage, massif du Jura ». Un ouvrage magnifique !

Il faut dire que Laurence est passionnée par la photographie animalière ; elle y consacre ses week-ends, et même ses vacances. Le photographe animalier ne tarde pas à s’en apercevoir. Il prend le temps de répondre à chacune de ses questions. La conversation prend fin. Laurence a soigneusement noté les coordonnées de Joël, ainsi que la meilleure époque pour photographier le chat forestier, son objectif.

Elle souhaite participer à un stage et me propose de l’accompagner. 

En photo animalière, rien n’est jamais acquis, et c’est la nature qui choisit de vous offrir ou non ce que vous êtes venu chercher. Mais une parfaite connaissance du terrain et des espèces permet d’atteindre plus facilement ses objectifs. Il ne fait aucun doute que Joël Brunet dispose de cette expérience du terrain, et les nombreuses photos de chat forestier qu’il présente constituent des témoignages rassurants pour les futurs stagiaires que nous sommes. J’accepte donc l’invitation de Laurence, après tout, mon objectif n’a jamais croisé le regard du chat forestier !

C’est le début de l’histoire et la fin de l’acte 1.


En fin d’année 2018, Joël Brunet est très pris par de nombreux festivals où il présente ses photos, son dernier livre et son film « De griffes et de crocs ». Aussi, et sur sa demande, nous l’appellerons début janvier afin de réserver un stage pour la deuxième quinzaine de mars 2019. 


ACTE 2 : 18 mars 2019 – Deuxième rencontre

Venant de Narbonne, il nous faudra presque 5 heures pour rejoindre le domicile du photographe. La nuit sera très courte.

Les présentations faites, nous nous installons dans notre chambre. 3 heures, mon portable  se met à sonner, il est l’heure de se lever. Sur les conseils de Joël, nous nous habillons très chaudement : un tee shirt technique, un pull en laine, une polaire, une doudoune, un sous-pantalon, un pantalon de chasse chaud et imperméable et une paire de bottes de montagne fourrées seront suffisants pour le trajet en voiture. Une grosse veste de chasse imperméable et chaude, une cagoule, une paire de gants fins et chauds et une paire de moufles de chasse compléteront la tenue vestimentaire une fois arrivés sur place. C’est bien la première fois que je suis aussi chaudement vêtu… Joël prévient : « Il faudra s’allonger par terre et ne plus bouger pendant des heures par une température inférieure à zéro (entre -6 et -10). La superposition de nombreuses couches vestimentaires n’est donc pas un luxe ».

Un bol de café plus tard, nous nous installons dans le véhicule de Joël. Pendant le trajet, un petit briefing à lieu ; le chat forestier, ce sera pour une autre fois, Joël a repéré des traces de lynx sur une plaque de neige dans le massif du Jura (désolé, mais je ne suis pas autorisé à en dire plus sur l’endroit précis.).

Il nous faudra plus d’une heure avant d’arriver sur zone. Nous laissons le véhicule en bordure d’un chemin forestier, à plusieurs centaines de mètres du lieu d’affût.

La progression dans le bois se fait silencieusement, ou quasiment … Mon pied droit frotte sur une pierre. Le bruit fait se retourner Joël qui m’invite à plus d’attention. Le ton est donné. Je sais combien la qualité de l’approche est importante et je regrette immédiatement ce faux pas. Ce ne sera malheureusement pas le seul… 

Mais il était dit que ce jour ne serait pas comme les autres !

Arrivés en lisière de bois, un petit pré s’offre à nos yeux. L’endroit est calme, paisible, loin de tout. La nuit est encore bien présente. La pleine lune jette un voile de lumière blafarde sur une nature endormie, ou presque… En effet, Joël reconnaît le chant d’une chouette de Tengmalm.

Il nous montre la plaque de neige où il a remarqué les traces d’un lynx. Il scrute méthodiquement la lisière du bois qui nous fait face à l’aide de ses jumelles de vision nocturne. Rien à signaler, nous pouvons poursuivre notre progression. 

Plus que 50 mètres à parcourir et nous nous arrêtons. Sans bruit, Joël installe une couverture en laine sur le sol givré et nous invite à nous allonger. 

Laurence utilise un 200-500mm Nikon fixé sur son D850. Elle cale l’objectif sur un bean bag, tandis que Joël me fournit une assiette métallique permettant de fixer une rotule afin de surélever mon matériel (100-400 mm et  A7RIII de Sony). Joël Brunet utilise principalement un Canon 5D mark IV et une optique Sigma 120-300 f/2.8. 

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La progression jusqu’au lieu d’affût et les différentes couches de vêtements ont contribué à l’élévation de ma température corporelle. Cette chaleur, qui s’échappe du col de ma veste, est à l’origine d’un épais voile de buée sur mes lunettes. Sitôt essuyées, je les remets en place sur mon nez, mais la buée revient immédiatement… Je devrai me résoudre à me passer de lunettes… Voulant les poser devant moi, je heurte le bord de l’assiette métallique qui soutient ma rotule, provoquant un bruit de cloche. La honte m’envahit tandis que Laurence et Joël me regardent amusés, et sans doute aussi un peu agacés…

Vraiment pas comme les autres !

Les premières minutes passent, puis les heures défilent, longues et froides. Pendant ce temps la nuit a tiré sa révérence, découvrant un sol herbeux totalement couvert de givre. Seul un joli lièvre montre le bout de son nez. Les premières rafales de nos appareils, provoqueront chez lui une envie subite d’aller voir ailleurs. 

À vos marques, prêt, partez.!..

Le soleil fait enfin son apparition , et le givre disparaît peu à peu. La température remonte doucement. Les heures défilent inlassablement et aucun autre animal n’ose s’aventurer dans notre studio photo hivernal… 

Soudain, Joël murmure : « Un lynx » ! Il est presque 18 heures. Comme mes deux autres compagnons, je colle mon œil à l’oeilleton de mon appareil, évitant le moindre mouvement corporel. Je balaye lentement la scène qui me fait face à l’aide de l’objectif à la recherche de l’animal. Il apparaît enfin dans le viseur, à une trentaine de mètres, peut être un peu plus. La vision est irréelle, totalement incroyable, magique. Mon cœur s’emballe alors que les premières rafales crépitent, trois ou quatre images à chaque fois. L’animal progresse lentement, dans notre direction, son attitude ne laisse aucune place au doute : il chasse, et nous sommes sa proie.

Et soudain le lynx apparaît dans mon viseur…

À peine à t-il commencé à se mettre en mouvement que la neige se met à tomber. C’est incroyable, on devient les acteurs d’un film dont le réalisateur à commandé l’arrivée de la neige… Dame nature nous offre l’ambiance dramatique qui manquait à la scène. Inouï !    

Mais alors  pas du tout comme les autres !

Nous avons à faire à un jeune lynx (pré-adulte), curieux, peut-être affamé. Il s’avance encore et encore, lentement, marquant des poses pour écouter et observer son environnement immédiat. L’instinct du chasseur est déjà bien installé chez cet individu.

Les trois appareils photo crépitent, les rafales se succèdent et s’interrompent lorsque l’animal marque une pose dans sa progression. Les cartes mémoire se remplissent, je comprends que nous sommes en train de vivre un moment unique. Un moment qui va bien au delà de nos espérances. Un moment de total émerveillement. Un moment qui va sceller une véritable amitié dans notre groupe. Partager une telle expérience crée des liens indéfectibles. Ce moment, on l’a vécu ensemble. Désormais la relation « prof / élèves » va disparaître pour laisser place à une véritable amitié. L’observation de ce Lynx va durer 7 minutes. 7 longues minutes d’un bonheur absolu. Puis l’animal prendra congé de nous et retournera dans la forêt où il est bien plus à l’abri.

La nuit tombera à nouveau avant que nous ne quittions les lieux. La pleine lune offrira à nouveau son voile de lumière, mais ce soir les étoiles ont changé de domicile. Elles ne sont plus dans le ciel, mais dans nos yeux…

Galerie photo

Cliquez sur la première photo afin de l’agrandir.

À propos du Lynx Boréal

Réintroduit par les Suisses dans les années 80, le lynx a étendu son domaine à l’ensemble des Montagnes du Jura. Le Jura représente le noyau principal de population avec 85 à 100 individus. 

Dans le Jura, le lynx a reconstitué un noyau de population qui semble pérenne, et il est devenu, avec le Grand Tétras, un des indicateurs de qualité des forêts et, parfois, le symbole d’une volonté de réparer les dégâts environnementaux. Il affectionne particulièrement les lisières de forêt qui lui permettent de se déplacer discrètement.

Le Lynx Boréal est un prédateur solitaire, actif du crépuscule au lever du soleil. Le territoire du mâle recoupe celui d’une ou plusieurs femelles. Le lynx mâle est intolérant envers les autres mâles traversant son propre territoire, mais ce sont les femelles qui restent les plus vindicatives entre elles. Les territoires comportent cependant des « zones neutres » où il est possible de circuler sans qu’il y ait affrontement : il s’agit fréquemment des limites du territoire.

Chaque adulte a un territoire de 11 à 300 km2, selon l’abondance des proies ; lorsqu’elles sont rares le lynx doit patrouiller des zones plus vastes pour  trouver à manger.

En 2009, le Lynx Boréal en France a été placé dans la catégorie « espèce en danger » par l’IUCN. En France, le Lynx Boréal bénéficie d’une protection totale depuis l’arrêté ministériel du 17 avril 1981 relatif aux mammifères protégés sur l’ensemble du territoire. Il est donc interdit de le détruire, le mutiler, le capturer ou l’enlever, de le perturber intentionnellement ou de le naturaliser, ainsi que de détruire, altérer ou dégrader son milieu. Qu’il soit vivant ou mort, il est aussi interdit de le transporter, colporter, de l’utiliser, de le détenir, de le vendre ou de l’acheter.

À propos de Joël Brunet

Un immense respect à toi Joël. Pendant ce stage, j’ai rencontré une belle personne dont les compétences n’ont d’égal que la gentillesse. Vivement 2020 pour de nouvelles aventures.

Joël Brunet

Facebook : https://www.facebook.com/Brunet-Jo%C3%ABl-Stage-photographie-1533136696968315/

Site Web : http://www.joëlbrunet.com

Autres photos prises ici et là pendant le stage

Je vous souhaite à toutes et à tous un très bon dimanche.

Jean-Michel

10 réflexions sur “Moment magique : ma rencontre avec le Lynx Boréal !

  1. christophe hermand

    C’est un juste retour des choses que de pouvoir contempler ces félins de France. L’avenir (et le présent) appartiennent à ceux qui se lèvent tôt. J’aime énormément la deuxième photo (série lynx). Le Jura est vraiment un magnifique territoire, préservé, de nature sauvage … Et je comprends que tu ne puisses en révéler davantage (c’est rassurant aussi). Nous espérons voir prochainement les autres sujets. @ bientôt.

    Aimé par 1 personne

    1. Laurence

      Superbe texte sur un séjour magnifique..
      Ce sont des moments intenses et superbes sur un animal tellement rare et furtif..
      Joël Brunet est vraiment un photographe de renom qui est d une simplicité et d une convivialité comme on n en voit peu..
      On a pu voir grâce à lui ce qu on imaginait même pas dans nos rêves les plus fous..
      Ton texte est la parfaite réalité de ce stage d exception…

      Aimé par 1 personne

  2. Effectivement une découverte, une ambiance et une rencontre qui s’imprime pour toute la vie car se retrouver nez à nez avec un tel animal relève un peu du miracle tant il ne souhaite pas vraiment s’approcher de l’homme. Du reste, je le comprends assez bien…

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  3. Stéphane Gautier

    Un immense merci pour cet article, qui est en réalité plus un témoignage presque minute par minute de cette rencontre privilégiée et magique. Je l’ai lu avec gourmandise avec une envie que cela ne se termine pas. J’aurais adoré être présent et vivre ce moment. Je vais peut-être me mettre à la photo animalière !

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  4. Hervé

    Très beau récit et très belles photos. Je suis fan! On sent le froid, l impatience, le moment de solitude comme un coup de gong avec la timballe métallique puis comme une délivrance, la révélation de cet animal tant attendu! Du bonheur!

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  5. David Combes

    Bravo ! À lire tes écris, tu as aimé voir des choses qui nécessitent beaucoup d’observation, de patience, de technique pour se déplacer, se cacher
    et savoir se positionner, car l’animal peut vous arriver dans le dos, et là pas de photo. C’est bien là que l’on se rend compte qu’il ne suffit pas simplement de savoir faire une photo. Mais c’est aussi dans ces moments que l’on est le plus à l’écoute de ce qui nous entoure et de la nature. Chaque bruit à sa nature que la nature écoute pour fuir les indésirables.
    Moi je dis bravo à ce professionnel de vous avoir fait partager cela, car les gens ne se rendent pas souvent compte qu’ils sont nuisibles.
    C’est bien plus facile d’approcher seul.
    Un jour j’aurai le matériel photo pour cela. 😉
    David Combes.

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