À l’époque de l’argentique, et pendant les premières années qui accompagnèrent l’apparition du numérique, posséder une optique lumineuse était une absolue nécessité si l’on voulait éviter le recours au flash. À sensibilité constante, une grande ouverture offrait des vitesses d’obturation bien plus élevées et réduisait les risques de flou de bougé.
Depuis quelques années, la stabilisation s’est installée dans nos plus belles optiques avant d’entrer dans nos boîtiers. Associée à une montée en sensibilité mieux maîtrisée, la stabilisation permet de repousser, voire d’annuler, le risque de flou de bougé. Se pose alors la question de savoir s’il existe encore un intérêt à posséder une optique très lumineuse. Cette fois, ce n’est plus de la physique ou de la photométrie que viendra la réponse, mais plus simplement du marketing… Là, je sais que je vous ai perdu, mais rassurez-vous, je vais tout vous expliquer !
Le bokeh au secours des optiques lumineuses !
Les gens du marketing se sont bien vite rendu compte que la grande maturité des stabilisateurs, associée à la puissance des algorithmes de réduction du bruit, allait conduire vers le déclin des ventes des optiques très lumineuses. Alors, ces mêmes gens du marketing ont eu une idée très lumineuse… : « élever le bokeh au rang de Saint Graal ».
Avant d’aller plus loin, il n’est pas inutile de rappeler ce qu’est le bokeh et comment on l’obtient : le bokeh est constitué par les parties floues d’une photographie. Il résulte d’une faible profondeur de champ liée à l’utilisation d’une grande ouverture, une longue focale ou une mise au point proche.
Au début de l’ère du numérique, seuls les reflex à grands capteurs permettaient d’offrir un joli bokeh. Les appareils dotés d’un petit capteur ne pouvaient rivaliser à cause d’une profondeur de champ plus importante. De nombreux articles , un peu de publicité , et le bokeh s’est retrouvé promu au rang de star absolue et les photographes en sont devenus obsédés du bokeh. Sans bokeh, point de salut ! Bravo le marketing !
Alors… le bokeh est-il bon pour la photo ?
Vous allez voir que la réponse à cette question est très nuancée. Vous remarquerez que les publicités parlent rarement de bokeh lorsqu’il s’agit des optiques destinées à la macrophotographie. Leur conception parvient à réduire la distance « appareil-sujet », et, alliée à une grande ouverture – généralement f/2.8 -, permet d’obtenir des flous de grande qualité. En macrophotographie, il est important « d’isoler » le sujet au maximum. Les optiques spécialisées s’en sortent d’ailleurs très bien. Il est donc inutile que le marketing s’y intéresse.
En portrait, la problématique est légèrement différente. Comme pour la macrophotographie, le sujet doit se détacher de l’arrière-plan qui, lui-même, ne doit pas disparaître totalement dans le flou, au risque de perdre toutes ses qualités narratives. Quelques explications complémentaires s’imposent :
En macro ou proxy une abeille butinant une fleur sera mise en valeur si le flou d’arrière plan fait disparaître tous les éléments susceptibles de parasiter l’image. En portrait, ce n’est pas du tout la même chose ; l’arrière plan doit participer à la narration. Pour y parvenir, il suffit de placer l’arrière plan hors de la zone de netteté, tout en s’assurant qu’il reste suffisamment identifiable pour fournir un contexte.
Deux exemples concrets :


Aujourd’hui, les reflex et hybrides plein format sont tous dotés d’une excellente stabilisation du capteur. Sur certains boîtiers, la stabilisation peut même s’associer à celle de l’optique et fonctionner de concert. Dès lors, une vitesse d’obturation de 1/30s est parfaitement utilisable sans risque de flou de bougé. La bonne montée en ISO permet aussi d’éviter les longs temps de pose.
Dans ce cas, les optiques à portrait très lumineuses sont-elles encore nécessaires ?
Les « marketeurs » vous disent que oui et vous montrent des portraits où l’arrière-plan disparaît totalement dans le flou, où les deux yeux du sujet ne sont pas nets (une nouvelle mode peut-être ???), mais où est l’esthétique dans tout cela, car ces photos sans âme perdent toutes leurs qualités narratives.
Pour ce qui concerne ma pratique du portrait, je pense que l’environnement immédiat du sujet doit participer à « renforcer » ce que raconte l’image. Dans l’exemple ci-dessus, on comprend qu’il s’agit du bouquet de la mariée puisque le couple est invité dans l’image. Lorsqu’on me demande de photographier des personnes sur leur lieu de travail, il est important que l’on puisse identifier leur environnement. À part les photos prises en studio, l’environnement immédiat à un rôle important à jouer pour la valorisation d’un portrait.
Pour qu’une personne ait les deux yeux nets lorsqu’elle est photographiée avec une optique à portrait (85mm par exemple) il faut souvent choisir une ouverture supérieure à f/2.8 (f/4 ou f/5.6 selon la distance appareil sujet). C’est pourquoi, une optique qui ouvre à f/1.2 ou f/1.4 ne sera pas d’une grande utilité, d’autant plus qu’elle sera souvent moins bonne à pleine ouverture…
Tout cela pour dire qu’il ne faut pas écouter ceux qui placent le bokeh sur un piédestal. Ils n’aspirent pas à faire de vous un meilleur photographe. Ce qu’ils veulent… c’est le contenu de votre tirelire !
Une optique ultra lumineuse fera-t-elle de vous un meilleur photographe ?
La réponse est non. Sachez également que plus la profondeur de champ est réduite, plus la mise au point se complique. Quel est l’intérêt de photographier une personne dont seul un œil est net ? Pour moi, aucun, sinon que de suivre une mode entretenue par le marketing et dont l’intérêt est très contestable.
Jadis, je pense à la période de l’argentique, les grandes ouvertures constituaient un marqueur social permettant de séparer les photographes professionnels des amateurs. Aujourd’hui, les avancées techniques ont aboli cette différence. Tout le monde joue dans la même cour !
Aujourd’hui les optiques ouvrant à f/1.4 ou plus n’ont plus beaucoup d’intérêt, sinon que de travailler en très basse lumière comme c’est le cas dans la photographie de mariage. Mais, au risque de me répéter, les très grandes ouvertures sont difficiles à manipuler, de plus, un objectif très lumineux est beaucoup plus cher, plus gros et plus lourd…
Faut-il pour cela ne plus acheter d’optiques très lumineuses ? Non, car quoi qu’on en dise, ces optiques ont toujours le pouvoir de nous faire rêver. La photographie doit avant tout nous procurer du plaisir et s’il faut pour cela casser sa tirelire… Ferrari n’a jamais vendu autant de voitures alors que la législation sur les limitations de vitesse est de plus en plus contraignante…
À cela une seule explication : LE PLAISIR !
À bientôt
Jean Michel
Cette mise au point sur le « Bokeh » est particulièrement intéressante en mettant l’accent sur les vrais avantages d’une grande ouverture mais aussi leurs contraintes. Merci pour ces « éclaircissements »!
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Il est vrai que les commentaires sur les forums photos font souvent la part belle aux images qui ont un « beau bokeh ». Mode et marketting quand tu nous tiens!
D’accord également avec le commentaire précédent.
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Bien vrai, bien vu. Très intéressant …
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Ou comment se recentrer sur un sujet! Article qu’ il fait bon lire comme pour se rappeler les fondamentaux. Le poids et le prix d une focale fixe très lumineuse me laissent pantois, en tout cas pour ma pratique. De la même façon, j aime revoir qq photos de photographes célèbres tout en pensant aux matériels utilisés à certaines epoques. Ça calme!
Mais comme tu dis, le marketing….. Merci Jean Michel.
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Bonjour Jean Michel,
Un article intéressant comme d’habitude !
Je crois que le principal au final est le résultat, donc la photo. Que l’on est une optique chère ou moins chère, peu importe. Que l’on ouvre à 2.8 ou 8, que l’on soit à 1/30 ou 1/125, je dirais basta. Seul le résultat compte et que ce résultat crée de l’émotion à celui qui a pris la photo et plus si affinité.
Bonne année 2021 et encore plein d’articles intéressants à venir.
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